J'allumai le 20 heures de France 2. Je crus à
une hallucination. Je fus pris d'un vertige. Je faillis défaillir. De
bonheur. Il y avait un Sarkozy ? Maintenant, il y en a deux ! En plus de Notre
Président, il y a Son Fils. Qui prouve, outre la fiabilité des techniques de
clonage humain, l'hérédité du talent oratoire.
Comme Son Père, Notre Président, Jean Sarkozy adopte une
syntaxe décomplexée, une grammaire sans tabou. Quelques exemples : « On
a parlé de nomination, on a parlé de népotisme, chacun a bien compris qu'il
n'en était pas le cas. » « C'est pas c'que chuis en train de
dire. » « Après, il sera le temps de proposer un projet, il sera
le temps de l'incarner. » « C'est une décision qui n'est pas
simple. » Quelle fraîcheur, quelle inventivité ! A côté de
cette langue échevelée, le lyrisme de ce ringard de Villepin passe pour du
vulgaire Lamartine.
Comme Son Père, Notre Président, Jean Sarkozy brise les
tabous sur la vie privée. Il ose parler de ses souffrances intimes. Notre
Fils de Président n'hésite pas à révéler aux Français le calvaire qu'il
endure, le martyre qu'il subit, le chemin de croix que constitue son entrée
en politique. « C'est pas évident pour moi de venir devant vous
comme devant des millions de Français. » J'étais au bord des
larmes. Notre Fils de Président fait preuve d'un courage bouleversant. « Ce
n'est pas un échec, c'est une épreuve qu'il faut traverser. » Et
même une traversée qu'il faut éprouver.
Comme Son Père, Notre Président, Jean Sarkozy a bien compris qu'il
fallait neutraliser les journalistes, tout juste bons à fomenter « une
campagne de manipulation et de désinformation orchestrée de manière
professionnelle ». Puisque les attaques nominatives relèvent du « fachisme »,
selon une de ses amies, Notre Fils de Président retourne contre les fachistes
leur propre rhétorique, il ne cesse de prendre le présentateur à témoin en
le nommant : « Bonsoir, David Pujadas. » « Mais vous
savez, David Pujadas… »
Comme Son Père, Notre Président, Jean Sarkozy a bien
compris qu'il ne pouvait pas compter sur les journalistes, tout juste bons à
fomenter un lynchage très professionnel. David Pujadas ne l'interroge pas sur
la nature des « convictions », des « idées »
et des « projets » que Notre Fils de Président défend
avec vigueur ? Comme Son Père, Notre Président, Jean Sarkozy est contraint
de se poser lui-même les questions. Regardez :
Comme Son Père, Notre Président, Jean Sarkozy allie le
pouvoir de l'éloquence à la force de l'argumentation. Une dialectique que
l'on pourrait résumer ainsi : J'aime La Défense. Et pourquoi j'aime La Défense
? Parce que j'aime les Hauts-de-Seine. Et pourquoi j'aime les Hauts-de-Seine ?
Parce ce que je suis élu. Et pourquoi je suis élu ? Parce que j'aime les
gens. Et pourquoi j'aime les gens ? Parce que j'ai des convictions. Et
pourquoi j'ai des convictions ? Parce que j'aime La Défense. Et pourquoi
j'aime La Défense ? Parce que j'aime les Hauts-de-Seine. Et pourquoi j'aime
les Hauts-de-Seine ? Parce ce que je suis élu. Et pourquoi je suis élu ?
Parce que j'aime les gens. Et pourquoi j'aime les gens ? Parce que j'aime les
Hauts-de-Seine. Et pourquoi j'aime les Hauts-de-Seine ? Parce ce que je suis
élu. Et pourquoi je suis élu ? Parce que j'ai des convictions. Et pourquoi
j'ai des convictions ? Parce que j'aime les gens. Et pourquoi j'aime les gens
? Parce que j'aime La Défense. Et pourquoi j'aime La Défense ? Parce que
j'aime les Hauts-de-Seine. Et pourquoi j'aime les Hauts-de-Seine ? Parce ce
que je suis élu. Et pourquoi je suis élu ? Parce que j'aime les gens. Et
pourquoi…
Comme Son Père, Notre Président, Jean Sarkozy sait parler
à l'âme des Français. Une fois, une seule, il n'a pu s'empêcher un regard
totalement improvisé vers la caméra, vers nous, son peuple, le témoin de
son martyre. Qu'il fut émouvant, ce regard caméra absolument pas calculé !
Quand Notre Fils de Président a posé ses yeux sur moi, cette fois, j'ai
franchement pleuré.
Comme Son Père, Notre Président, Jean Sarkozy a le sens de la
formule apprise par cœur – preuve que, s'il séchait les réunions du
conseil général des Hauts-de-Seine, il réussirait haut la main ses examens
de droit. La formule qui va droit au cœur du téléspectateur. « Est-ce
que j'en ai parlé au Président ? Non. Est-ce que j'en ai parlé à mon père
? Oui. » C'est beau, non ? Cette relation filiale franche et saine,
on dirait du Kipling – tu seras un homme, mon fils… Mais… mais…
Attendez : si Jean Sarkozy en a parlé à son père mais pas au Président,
cela voudrait dire que son père n'est pas Notre Président ? Mais qui est-il
alors ? A qui a parlé Jean Sarkozy ? Qu'essaie-t-on de nous cacher ?
Qui est Jean Sarkozy ? Pour y voir plus clair, reprenons les
déclarations de ses proches, bien renseignés sur sa vie privée, qui se sont
exprimés la semaine dernière. Isabelle Balkany, une intime de la famille : « Un
fils de grand pianiste a beaucoup plus de chance qu'un fils de charcutier de
devenir un grand pianiste. » Thierry Solère, un intime de La Défense :
« Quand vous êtes fils d'un pianiste de grand renom, personne ne s'étonne
que, quand vous arrivez à 20 ans, vous ayez un talent inouï. »