Chronique de la semaine | LE MONDE ECONOMIE | 09.01.12 | 16h16
par Paul Jorion, économiste et anthropologue
L'instrument pousse-au-crime est le pacte de stabilité et de croissance européen, qui exprime déficit annuel et dette souveraine en termes de points du produit intérieur brut (PIB) et leur fixe des seuils : 3 % maximum pour le déficit, 60 % pour la dette cumulée.
Or le principe du pacte, et de la "règle d'or" que l'on en tire, recèle une erreur grossière. Qu'est-ce qu'un budget équilibré ? Un budget où les dépenses n'excèdent pas les recettes.
Pourquoi ne pas exprimer alors la santé d'un budget national en ces termes-là ? 102% de dépenses par rapport aux recettes : le pays connaît un déficit de 2 % ; 97%, et il s'agit au contraire d'un excédent de 3%.
Pourquoi comparer les pommes des dépenses aux poires du PIB, plutôt que les pommes des dépenses aux pommes des recettes ?
Le PIB d'une nation, mesure de sa vitalité économique, serait-il un meilleur substitut de ses recettes... que ces recettes elles-mêmes ? Ce serait peut-être le cas si les grandes fortunes n'avaient trouvé le moyen d'éviter l'impôt par l'évasion ou l'"optimisation" fiscale, et si les grandes entreprises n'échappaient pas à la fiscalité en tirant parti de législations complaisantes.
ARTIFICE ABSURDE
Pourquoi a-t-on inventé l'artifice absurde de comparer les dépenses d'une nation à son PIB plutôt qu'avec ses recettes ?
Ecoutons ce que dit de son origine Guy Abeille, haut fonctionnaire chargé de mission à la direction du budget du ministère des finances, et concepteur de l'indice (Guy Abeille, "Pourquoi le déficit à 3 % du PIB est une invention 100 % française", La Tribune, 1er octobre 2010) : "La bouée tous usages pour sauvetage du macro-économiste en mal de référence, c'est le PIB : tout commence et tout s'achève avec le PIB, tout ce qui est un peu gros semble pouvoir lui être raisonnablement rapporté. Donc, ce sera le ratio déficit sur PIB. Simple, élémentaire même, confirmerait un détective fameux. Avec du déficit sur PIB, on croit tout de suite voir quelque chose de clair." Et M. Abeille d'ajouter, à propos du seuil de 3 % qu'il proposa pour le déficit annuel en points de PIB : "C'est bien, 3 %. (...) 1 % serait maigre, et de toute façon insoutenable. (...) 2 % du PIB aurait quelque chose de plat, et presque de fabriqué. Tandis que 3 est un chiffre solide ; il a derrière lui d'illustres précédents (dont certains qu'on vénère)."
La formule de la règle d'or implique qu'aussitôt que le coupon moyen de la dette souveraine d'une nation dépasse le taux de croissance de son économie, le rapport dette/PIB se dégrade inéluctablement.
Or les politiques d'austérité mal avisées des dirigeants européens ont un impact négatif sur la croissance, augmentant le risque de dégradation de la notation de la dette souveraine de leur pays, et provoquant l'effet de ciseaux redouté, puisque d'un côté le taux de croissance baisse, tandis que, de leur côté, les taux exigés par le marché des capitaux pour la dette émise montent.
La règle d'or censée garantir aux Etats un budget équilibré, que l'Allemagne a eu la naïveté d'inscrire dans sa Constitution et tente d'imposer aujourd'hui à ses partenaires européens, n'est - on l'a vu - rien d'autre qu'une blague de potache. C'est en son nom pourtant que l'on malmène aujourd'hui la démocratie en Europe et qu'on assassine sa monnaie commune.