Pour Thomas Legrand (France Inter) : Sarkozy, "Ce n'est rien"

Journaliste politique. Chroniqueur sur France Inter, il démonte le système Sarkozy dans son livre Ce n’est rien qu’un président qui nous fait perdre du temps.Sarkozy, ce n’est rien selon vous. Vraiment rien ?

Ce n’est rien, ni rupture ni dictature. Il n’est pas inactif, mais toutes les spécificités sarkoziennes annoncées au départ ne sont pas au rendez-vous, hormis les traits de surface et de style. Contrairement à ce qu’il dit, il n’a rien révolutionné, il n’a même pas modernisé la gouvernance : il a gardé tous les attributs de la monarchie républicaine, il reste dans un monologue sécurisé. Surtout, il n’y a aucune rupture par rapport à un gouvernement de droite classique.

Comment vous est venue l’idée de ce titre, tiré d’une chanson d’Etienne Roda-Gil ?

C’est mon éditeur Jean-Marc Roberts, un ami de Roda-Gil, qui en a eu l’idée. On tournait autour de la notion de vacuité. Contre l’idée que Sarkozy va trop vite et fait trop de choses, je voulais dire : il ne fait rien. Non, il ne va pas trop vite ; il dit trop vite, il parle trop vite. Exemples : “les paradis fiscaux, c’est fini”, “j’ai vendu des Rafale”, la taxe carbone, la politique de civilisation, Hadopi, les régimes de retraite, les heures supplémentaires, le service minimum qui n’en est pas un, le Grand Paris qui n’est qu’une ligne de métro… La liste des annonces non suivies d’effets pourrait s’allonger.

Le mouvement perpétuel en guise d’action et l’action continue en guise de résultat, c’est sa marque de fabrique ?

C’est sa marque de fabrique pour exister politiquement, pas pour réformer. La rapidité dans l’action politique, c’est la rapidité de l’annonce. Mais la fabrication de la loi se fait au rythme lent du Parlement. On s’aperçoit que les réformes n’en sont pas, sa stratégie ne marche plus depuis la crise. Sarkozy ne peut plus imposer les thèmes qui l’arrangent. Cela devient indécent comme l’illustre le débat sur l’identité nationale. La machine est grippée.

Faut-il écrire sarkozysme avec un “Y” ou avec un “I” ?

Avec un “Y”. Parce qu’un “I” suggérerait un corpus d’idées ; or, ce n’est qu’une méthode politique pour accéder au pouvoir, pas pour l’exercer. De ce point de vue, les antisarkozystes sont hypocondriaques : ils exagèrent les effets du sarkozysme. Je comprends qu’ils soient effrayés par le discours du président, mais il est simplement de droite, pas antirépublicain.

Le sarkozysme a-t-il un avenir ?

Oui, s’il modernise la gouvernance, s’il comprend que l’on ne peut plus gouverner dans un monologue sécurisé. On ne voit jamais Sarkozy dans des situations de vrais dialogues, et quand il s’exprime en monologue, il donne l’impression de répondre à une interpellation : “On me dit que, on voudrait que…” Mais qui est ce “on” ? Personne ne lui demande jamais rien : ni les parlementaires ni les journalistes parce qu’il n’y a pas de conférence de presse.

Les déclarations du directeur de France Inter (lire p. 98), Philippe Val, inquiètent pour l’indépendance de la radio publique. Sentez-vous votre liberté menacée ?

Pas du tout, personne n’a jamais tenu mon stylo. Je m’applique la maxime sarkozyste : l’énergie que tu mets à durer, tu ne la mets pas à faire. Dans la presse aujourd’hui, l’énergie mise à faire aide à durer. Là encore, la liberté de la presse n’est pas menacée : Sarkozy peut vouloir contrôler les médias, mais ça n’est pas possible. L’influence qu’il a sur TF1 ou Paris Match n’est rien : pour ce que ces médias avaient comme liberté avant, cela ne change pas grand-chose. Par essence, ils ne sont pas subversifs. Quant à Philippe Val et Jean-Luc Hees, ils me laissent tranquille, cela se voit non ?

Ce n’est rien qu’un président qui nous fait perdre du temps (Stock), 158 pages, 12 €.

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