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"Une enfance algérienne",
textes recueillis par Leïla Sebbar.
(Albert,
six ans, accompagne sa mère au marché de la rue Randon, et se perd. Il est
secouru par un veil arabe qui l'amène chez lui. Sa fille Fatiha, huit ans, qui
est la seule à parler français, le console et joue avec lui...)
... Pour elle, Fatiha, être maîtresse c'êtait toujours chanter une chanson, avec elle j'ai descendu dans mon jardin pour y cueillir du romarin, avec elle quand Jeanne d'Arc faisait paître ses vaches, je
tenais son beau ruban de trois couleurs, avec elle la tour Eiffel avait toujours quatre cents mètres et nous parcourions les beaux
chemins de France, une fleur au chapeau, à la bouche une chanson, d'un coeur joyeux et sincère. Quand j'y pense, c'est Fatiha, la fille de ma famille arabe, qui m'a appris le folklore de ce pays où je vis et survis aujourd'hui.
Elle êtait très douée même en calcul,
d'un seul coup d'oeil, il fallait deviner combien de galbelouzes, de zalabias et de
mekrouts il y avait sur le plat en faïence, et si je me trompais, eh bien c'est simple, c'est elle qui en mangeait un de plus. Et gourmand comme j'étais, et même goinfre, à la longue plus question que je me trompe. Fatiha m'a apprir à lire, à compter, à chanter et à rire.
Parce
que j'étais le tout dernier de maman qui se faisait un peu vieille et qui me perdait dans les rues, et puis mes soeurs étaient déjà trop grandes pour daigner jouer avec le morveux de six ans que j'étais.
De sept ans, de huit ans, de neuf ans.
Oui, jusqu'à mes neuf ans, et ce jour où Lalla Zohra est venue à la maison voir ma mère, et elles ont parlé dans la cuisine en arabe, et moi je ne comprenais rien. Mais après sa visite, maman ne m'a plus conduit rue du Divan le jeudi, et c'est alors - parce que j'étais bien triste
- que j'ai commencê à fréquenter tous les garnements de l'Alliance Israélite, rue Bab-el-Oued, pour apprendre l'hébreu, la religion et me préparer à ma commrrnion - comme on disait, pour bien dire.
Mais quoi, Fatiha, mon amie, qu'étais-tu devenue ? Personne ne me le dit, ou
plutôt on me laissa entendre qu'elle était partie, qu'elle était malade, que je ne pouvais plus la voir. Mais ce n'est que
plus tard, très tard, que j'ai compris. A onze ans passé, Fatiha êtait devenue une femme et plus jamais, elle ne se montrerait à un garçon à visage découvert. À elle le voile, la retenue, la réclusion à la maison.
Plus tard, combien j'en ai vu, dans mon quartier de la rue Danton et de la rue de Mulhouse où vivaient quelques familles musulmanes, de ces petites filles qui jouaient dans la rue avec leurs nattes dans le dos, et sautaient à la corde en criant - et moi je les accompagnais, même penché sur ma version latine : « Vinaigre ! vinaigre ! » et je reprenais dans leurs voix - même suant sur cette dissertation kantienne : joli coquelicot, madame...
Des filles qui jouaient, mignonnes et glapissantes, et un beau jour elles disparaissaient et tout au fond de la rue, en bas, on voyait de frêles et gauches silouettes enveloppées d'un drap blanc et la voilette qui cache le nez et la bouche, ne laissant apparaître que deux yeux noirs qui avaient à jamais perdu leur malice.
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