"Millieu", c'est comme ça que
j'écrivais ce mot dans mon enfance.
Il était beau comme ça avec ses deux
L, prêt à s'envoler. Et c'est important que le mot millieu soit beau,
car ne dit-on pas "au beau millieu"?
Mais un jour de révolution
orthographique, une voix professorale retentit dans la salle de classe:
"Milieu, il n'y a qu'un L au milieu!"
Ce jour-là, je dus prendre congé du
deuxième L de mon mot. Il s'envola à regret et disparut par la fenêtre
sous l'œil approbateur de l'instituteur.
Il me manqua au début. Je
trouvais en effet "milieu" un peu tristounet avec son seul L qui
ressemblait à un palmier sur une île déserte.
Puis la vie continua et je m'habituai à
la nouvelle orthographe.
Mais un jour, alors que j'écrivais une
lettre, le L restant de "milieu" s'envola sans prévenir et d'un
grand coup d'aile, le voilà qui disparut par la fenêtre! Je regardai mon
texte: au mi.ieu...
Ah non, ça n'était pas mieux, ça n'allait pas du tout, il fallait que
je retrouve le L de mon mot pour finir ma lettre!
Je le cherchai longtemps jusqu'à ce que j'entende parler des planètes
littéraires, mondes inconnus de moi jusqu'alors.
Je partis donc immédiatement. Pour la
planète L.
Je fus accueillie tout d'abord par la
gent ailée. Une nuée de linottes, lucioles, lycaons, toutes ces ailes
voletaient autour de moi. C'était un spectacle magnifique, le hic, c'est
que je ne voyais pas le moindre L à l' horizon.
Je me dirigeai vers un commerce. Sur la
vitrine on pouvait lire: Larfumerie.
J'entrai pour me renseigner.
- Bonjour, fis-je, que signifie
larfumerie?
La larfumeriste me regarda, étonnée
par ma question: -Eh bien nous vendons des larmes de parfum,
lilas, lis, lavande...
- Je vois. Pouvez-vous me dire où je peux trouver des L?
- Oh, pour ça, il faut aller voir Lorenzacio de l'autre côté de la place. Il pourra vous renseigner.
Je traversais la place quand je le vis
enfin: mon L, c'était bien lui avec son arrondi un peu penché, comme je
le fais toujours; et puis il y avait aussi mon premier L, au tracé hésitant
et appliqué, Ils voletaient parmi les autres L comme des lapillons,
libres et insouciants.
J'en eus les larmes aux yeux, parfumées
au lilas du préau de l'école.
Je n'eus pas le coeur de reprendre mon
L. De toute façon, je crois qu'il ne serait pas venu. Et je le comprends.
Le dénommé Lorenzacio
distribuait des L qui avaient envie de voir du pays et de courir sur le
papier plutôt que de voler dans les airs. Ils étaient déjà tous réservés,
je me suis inscrite sur une liste d'attente, et je suis rentrée chez moi.
Je me suis retrouvée devant ma lettre.
Et mon mi.ieu.
Après ma visite sur cette planète,
j'en suis maintenant convaincue: pour écrire une lettre de belle envolée,
millieu avec deux L c'est vraiment mieux.
Cassis
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