La planète suivante
était la planète T. A son approche, je constatai qu’elle baignait dans
un halo blanchâtre et une odeur très forte de peinture et de solvants me
prit à la gorge. J’atterris près d’un banc et, prise de vertige,
voulus m’y reposer un instant, mais une pancarte énorme annonçant :
« Attention, peinture fraîche » m’arrêta dans mon élan.
Une vieille dame à l’air triste était assise sur un caillou
inconfortable à quelques pas de là. Je tentai de m’approcher d’elle
en évitant les gravats qui jonchaient le sol. Je me présentai et lui
demandai ce qui se passait sur cette planète. Hélas, me répondit-elle,
vous êtes ici sur la planète Travaux, je fais partie des premiers colons
qui s’y installèrent. J’avais 6 ans à l’époque et mes parents,
comme tous ceux qui sont venus ici, étaient pauvres, mais courageux. C’était
la planète la moins chère, nous aurions du nous méfier quand nous avons
lu, en bas de l’annonce : « prévoir travaux ». Mais
nous étions enthousiastes et tous ceux qui venaient s’installer ici étaient
habiles de leurs mains…nous avons cru que la rénovation de cette planète
ne prendrait que peu de temps, mais, j’ai 86 ans et le chantier n’est
toujours pas achevé !!!!
Autour de nous, des
hommes habillés de bleu ou de blanc s’affairaient dans tous les sens,
je reconnus électriciens et plombiers à leurs mallettes, plâtriers et
maçons à leurs tenues…tous les corps de métiers étaient représentés
sur T. Je m’étonnai donc auprès de la vieille dame qu’avec toute
cette main-d'oeuvre disponible, les travaux ne soient pas terminés depuis
longtemps. Au contraire, me répondit-elle, plus ils sont nombreux et pire
c’est ! Ils se rassemblent par corporation et se haïssent
tellement que la vie ici est un enfer. T fuit de toutes parts ce qui crée
des courts-circuits et pourrit les fondations. Électriciens, maçons et
plombiers la réparent sans cesse mais plâtriers et peintres leur en
veulent de tous ces trous et saignées qu’ils laissent derrière eux et
qu’il faut sans cesse reboucher et repeindre. Quant au vitriers et
parqueteurs, ils maudissent les précédents pour les tâches indélébiles
qui souillent leur propre travail. Mais, dis-je à la vieille dame, où
sont donc passées les autres femmes ? Ma pauvre, répondit-elle, la
plupart, excédées de devoir sans cesse nettoyer la planète ont fui
depuis longtemps. Quant à celles qui ont eu le malheur de rester,
beaucoup d’entre elles ont perdu la raison et leurs maris, excédés de
subir des chantages au suicide par pendaison au bout d’une serpillière,
ou encore par empoisonnement au White-Spirit, les ont envoyées sur O, la
planète de l’oubli. Mais alors, et vous ? Lui demandai-je enfin.
Oh, moi, je n’ai pas eu le cœur de les laisser seuls. Il faut bien que
quelqu’un leur prépare leurs gamelles et pense à les approvisionner en
canettes de bière ! Mais, je suis bien vieille à présent et il me
faudrait une remplaçante, dit-elle en me fixant d’un air plein
d’espoir. Bredouillant de vagues excuses (allergie au plâtre, asthme
chronique etc), je pris mes jambes à mon cou en espérant que U serait
moins « cauchemardesque »
marie-anne.gerard@neuf.fr
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