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Astéroïde 172, satellite de V
Quand Paul et Marie descendirent de la navette, une brise, enchanteresse
de bord de mer leur caressa le visage, accompagnée d’une délicieuse
odeur de pins.
La mer n’était pourtant pas si proche...
Ainsi le couple d‘amis qui leur avait chaudement recommandé ce voyage
ne s’était donc pas trompé ; ce séjour au Pays du Vent s’annonçait
d’emblée bien agréable.
Dans le flot des passagers qui regagnaient lentement la sortie, Marie ne
put s’empêcher de sourire en remarquant une jeune femme marchant devant
eux, la main crispée sur sa jupe portefeuille (déjà très courte)
qu’un vent capricieux soulevait de tous cotés.
Mais dès qu’elle aperçut le sourire béat de Paul, celui-ci fut immédiatement
rappelé à l’ordre par un coup de coude bien ajusté dans les côtes !.
L’instant d’après un fou rire les pliait en deux à la vue d’un
pauvre type accroché à l’horizontal, luttant désespérément pour ne
pas se faire emporter ! De sportifs jeunes hommes vêtus de petits
uniformes rouges heureusement veillaient au grain, apparemment chargés de
se précipiter à l’aide de toute personne incapable de contrôler la
force de son propre vent !
- Et bien, nous y voilà, dit tout haut Marie en reprenant son souffle,
nous sommes effectivement au Pays du Vent !
Remarquant une femme plus âgée qui semblait attendre en souriant
calmement, Marie constata qu’aucun mouvement n’effleurait la dentelle
qui encerclait son visage tandis qu’une mèche rebelle s’agitait sans
répit devant les yeux de l’enfant qu’elle tenait dans ses bras.
- C’est bien ça ! Ici, chacun trimbale avec lui le vent qui lui
correspond, sa propre exhalation...
Grimpant dans le taxi qui devait les emmener à l’hôtel ils furent
assaillis par un bruit de tornade assourdissante qui vrombissait dans
toute la voiture. Les joues défigurées par la violence de son vent, le
chauffeur hurlait pour se faire entendre, respirant bruyamment par la
bouche entre deux grimaces, les cheveux hérissés sur le crâne !
Au moment de payer Paul lutta un bon moment avec les billets que le vent
furieux du bonhomme renvoyait inexorablement vers lui, finissant par les
lui engouffrer à même la poche en le suppliant de garder la monnaie !
La portière à peine refermée sur le chauffeur ils ne purent s’empêcher
de lui souhaiter bon vent, s’enfuyant vers l’hôtel en riant et en
courant comme des gosses, honteux d’avoir cédé à la tentation d’une
blague aussi facile mais trop heureux de retrouver la douceur de leur
brise personnelle...
Mais cette soirée bascula définitivement dans l’hilarité quand le
groom les accueillit à la porte du hall d’un joyeux et innocent : «
Bonjour M’sieur, Dame, quel bon vent vous amène? »...
Avalé en coup de vent à cause d’un courant d’air persistant, le dîner
lui aussi se déclina sur le même mode, cocasse et... venté.
D’abord accueillis à l’entrée du restaurant par une jeune femme à
la houle légère qui leur indiqua immédiatement d’un sourire entendu
la salle des vents doux, ils l’entendirent énoncer sans rire, après la
traditionnelle coupe de champagne de bienvenue, le menu suivant (qu’elle
prit la peine de qualifier de « léger ») :
- vol au vent
- légumes vapeur
- soufflé au fromage
Quand ils l’interrogèrent sur l’autre salle, celle des vents forts,
elle leur apprit que les repas y étaient plus consistant, à base de purées
et autres tartifflettes bien lourdes susceptibles d’éviter, ou du moins
d’atténuer, toute prise au vent intempestive...
Regagnant leur chambre ils riaient encore à l’évocation de cette première
soirée au Pays du Vent, glosant au sujet d’un champagne - soi-disant éventé
- dissertant sur la légèreté probable d’une certaine porteuse de jupe
portefeuille ou sur la cupidité décoiffante d’un pathétique chauffeur
de taxi...
- Tu te rends compte, ils proposent même des cures anti-
bourrasque-personnelle ici !
- Oui, on aura tout vu...
- C’est quand même un peu effrayant, non ?
Tandis que l’hôtel s’endormait peu à peu dans un relatif calme plat,
le couple retrouva enfin sa sérénité. Leurs deux corps tendrement enlacés,
une odeur puissante de pins sauvages se dégagea de leurs étreintes et
leur brise commune se fit plus chaude, presque brûlante.
Alors sans plus de résistance ils se laissèrent emporter dans le
tourbillon du désir.
domi Avril 2006-04-06
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