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La prière, selon l'Abbé Pierre Prologue du livre "Dieu merci" Récemment,
des amis m'ont interrogé sur la prière. J'ai d'abord été surpris, parce que
personne ne l'avait fait depuis longtemps. Bien sûr, j'ai répondu avec joie à
leurs questions. Mais, très vite, ces questions m'ont conduit à m'interroger
à mon tour. Je tentais, au cours de l'automne, d'organiser mes réflexions lorsque j'ai été invité, dans la capitale de l'un des pays les plus riches du monde, à animer une journée sur la pauvreté et l'exclusion où se retrouvaient ceux qui se nomment eux-mêmes des décideurs. Tout de suite après la messe que je célébrai pour tous, comme je le fais chaque soir dans la petite chapelle d'Esteville, j'ai rejoint mes hôtes pour le souper. Salon chic d'un hôtel de luxe. Serveurs en grande tenue attendant, immobiles dans leur mise impeccable, de présenter des mets somptueux et raffinés, vaisselle étincelante sous les lumières conjuguées des lustres et des chandeliers. Profusion. Et
voilà que l'on m'invite à faire la prière. J'ai cru que le cœur allait me
manquer. Lorsque, enfin, j'ai pu parler, je me suis entendu dire: « Mes amis,
je ne ferai pas de prière. Pouvez-vous réaliser le grotesque et l'indécence
de la situation que nous vivons? Vous souvenez-vous qu'après qu'il eut célébré
la première messe, Jésus est entré en agonie? Et ici, après la messe, on a
organisé un scandale. Ne pensez-vous pas que pour clôturer votre rencontre sur
les pauvres et les exclus, le dîner aurait dû, tout naturellement, être
composé d'un potage et de deux sardines! Ne me demandez pas d'être à l'aise
maintenant. Si je participais de bon cœur à ce banquet, je ne pourrais pas
regarder en face ceux que je vais rencontrer demain, les malades en fin de vie
à l'hôpital, les jeunes en prison. Je les trahirais. Quel serait le sens de la
prière que vous me demandez de faire avec vous? Votre invitation m'oblige à
vous dire la vérité: il ne suffit pas de prier. Le monde est en guerre. Plus
de la moitié de l'humanité manque de l'essentiel. Vous vous dites chrétiens...
alors vous devez savoir que la foi conduit à prendre des risques. L'Esprit qui
nous a faits croyants nous pousse à être des croyants croyables. Le
sommes-nous? » Sous
le coup de l'émotion et de la colère, j'avais dit ce qui est, pour moi, le
sens de la prière. N'a-t-on pas, trop souvent, pris l'habitude de prier pour
dire: « Merci de m'avoir donné ce qui me satisfait » ou «Donne-moi ce que je
désire » ? Pour
moi, la prière ne peut jamais être expression de la satisfaction, elle ne peut
pas non plus se réduire à la demande, même si elle inclut tout naturellement
la supplication et la reconnaissance. La prière est essentiellement dans
l'Adoration. Mais l'Adoration est-elle possible lorsque de toute part montent
les périls et que l'humanité a peur pour son avenir? Il
me semble qu'il faut dire des paroles graves à toutes celles et à tous ceux
qui, dans le présent et dans ce que l'on peut deviner des années proçhes, se
trouvent, à travers toute la terre, étreints par l'angoisse. Abbé Pierre - 1995 -
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