Adrien NOVEL a écrit :
La faim ! …Avez-vous jamais connu la faim ? Pouves-vous imaginer
la faim des disettes du moyen âge ou plus récemment la famine en Irlande
qui poussa les gens à la mer. Les voici s’entassant à fond de
cale en route pour le nouveau monde et plus personne sur la verte
Erin. Je voudrais parler de la faim et de ses pouvoirs.
Ce matin là je m’éveillais dans la froidure. Le givre étincelait
sur les vitres.
La veille au soir j’avais dépensé mon dernier liard dans
une brasserie… Je me levai et ce jour là ne mangeai pas. Puis le
lendemain de ce jour après avoir dormi comme un loir et plein de bonnes
dispositions matinales, ce jour là non plus aucun aliment ne vint à ma
rencontre… Je ne croisai aucun de mes anciens condisciples toujours
enclins à faire bonne chère …Puis vint l’aube d’un troisième
jour. Cette fois je n’avais pas pu fermer l’œil de la nuit.
Vous pourrez me dire qu’on ne meurt pas de faim au XXème siècle,
qu’il existe toujours un moyen de quémander, de supplier, de
prier…Oui mais ces jours là je n’avais pas encore appris. Je
n’avais pas l’esprit à çà. Il me faudrait encore longtemps avant de
savoir. Par la suite j’errerai d’armée du salut en abris de nuit sur
les traces de mes idoles, les Nerval et autres amateurs de réverbères
mais c’est une autre histoire. Pour l’heure j’étais désarmé.
Hier encore je chantais des refrains polissons au sortir de
l’amphithéâtre. Mais un soir, soudainement, je me suis désintéressé
de tout. Ai-je croisé le regard d’une petite demoiselle accompagnée de
ses parents se rendant au spectacle ? Sans doute est-ce ainsi que
cela à du commencer, voilà qui fait chic. J’ai oublié. C’est
ainsi que l’on change de continent imperceptiblement. On marche dans la
neige ce n’est plus l’Europe, l’Asie déjà…
La faim m’est venue par surcroît, j étais bien trop occupé à
me demander ce que j’étais venu faire en ce bas monde. A pas feutré
la mauvaise saison était venu tout empoisonner. L’automne encore,
on vit bien, le coeur est au large, l’automne, si cher à Jules
Laforgue dont les vers me hantent - marche bruissante dans les feuilles à
foison : « Ah nuées accourues des rives de la Manche vous nous avez gâché
notre dernier dimanche…. »
Mais voici l’hiver et moi sur le carreau de cette bonne et douce
ville de Nancy à l’odeur de bière, de Bergamote et de charcuterie, en
ce début de XXème siècle. Dans Lucien Leuwen, Stendhal à fait
une description si piteuse de la ville … Pourtant… Nancy m’a
toujours fait penser à une petite Prague propice aux
songeries baroques, aux rêves médiévaux, aux envolées vers un futur de
féerie avec les maisons de Majorel et les vases d’Emile Gallé. Une
ville propice aux déambulations.
Je me levai ce troisième jour et marchai sans but enveloppé
d’une pelisse à présent miteuse comme mes rêves. Dans une ruelle le
soupirail d’une gargote du quartier Saint Epvre me tira des larmes
: une odeur de goulasch me figea sur place. J’étouffais et tentai de
reprendre mon souffle, la sueur froide me coulait dans le dos.
Vite je battis en retraite vers ma mansarde de la place
de la Croix de Bourgogne. A deux pas d’ici trépassa Charles le Téméraire.
Il neigeait, j’avais froid, j’imaginais le flamboyant Duc de
Bourgogne allongé dans les congères un jour de février 1477, le
corps dévoré par les loups.
J’ouvris un livre de médecine. Quelques planches anatomiques en
couleur de l’appareil digestif me giflèrent. L’air me manqua.
Je sortis précipitamment bousculant mon logeur éberlué.
Je dois dire au lecteur que la physiologie de la faim me fait très
peur. Tout autant la faim vécue comme une ascèse me répugne, le jeûne
institutionnel, religieux, hygiéniste ou protestataire me semble une obscénité.
La vraie faim qui m’a prise à cet instant de ma vie, est une
divinité noire. Elle vous mène devant elle, ne dit on pas :
« poussé par la faim » ? C’est une divinité redoutable qui parfois
vous offre des paradis artificiels.
Même plus tard, entré de plein pied dans de nouveaux
mondes, cette faim là ne s’oublie pas. Elle est en vous pour l’éternité.
Que l’on mendie son pain ou que l’on vole à l’étalage, que
l’on soit l’hôte des grands ou à la table familiale, on
reste malgré tout sur sa faim. Il faut du temps pour se résigner,
pour se désenchanter, pour oublier. Tu dois t’en rends compte lecteur,
mon récit est chaotique et sans cesse je rumine ma faim.
Je remâchais de sombres pensers peu dignes du joyeux bachelier que
je fus naguère. Oui la basoche m’avait fait sienne, hier encore je trônais
au café Excelsior, à présent je longeais le court Leopold en me cachant
presque. Je me sentais rétrécir avec un mal de chien à soulever mes
souliers soudain démesurés.
Descendant la rue des Maréchaux, je quittai la ville médiévale
et me laissait glisser vers la place Stanislas ; Un soleil divin
frappait de plein fouet les grilles de Jean Lamour et l’éclat de la
neige transfigurait la statue du duc de Lorraine.
Soudain un cycliste me frôla en hurlant « Imbécile
!!! » et son cri net dans le froid lumineux raisonna dans ma cervelle blême.
Je titubai, fit un pas de côté et battis des bras pour rester debout.
Alors léger comme un flocon je me sentis partir à la renverse. J’appréhendai
le choc de mon dos sur le sol durci mais curieusement je parvins à me
retenir en suspension dans le vide.
J’eu la très nette sensation de flotter en l’air comme entre
deux eaux. Ceci me permit de rétablir l’équilibre. Un battement léger
des bras et je repris la verticale. Mes pieds comme à regret retrouvèrent
le sol enneigé. Vertige de la faim pensais-je.
Je quittai la trop imposante place et m’aventurant lentement vers
la discrète place d’Alliance me posai sur un banc.
A cet instant un fin nuage croustillant de givre glissa lentement
au dessus des cheminées et mon regard s’ajusta à lui. Le soleil
irisait ses dentelles. En quelques secondes ma perspective fut inversée,
j’étais là haut assis au bord du nuage, les jambes dans le vide comme
au bord d’une charrette de foin mollement appuyé contre l’ouate fraîche.
La flèche de la cathédrale se trouvait à mon niveau et comme à portée
de main, cependant le nuage dérivait lentement comme une montgolfière et
peu après je reconnus le parc Ste marie puis la faculté de médecine et
la prison Saint Charles. J’avais bien sûr entendu parler des premiers aéronefs
et des ballons mais j’avoue que je ne m’étais pas beaucoup passionné
pour les débuts de l’aéronautique. Un peu plus tard je survolais la
Meurthe le canal les établis les usines la fin de la ville.
Une brise candide joua avec mon nuage échevelé et je dérivai
vers l’est doucement. Je ne ressentais pas la vitesse toutefois en
dessous de moi le paysage changeait constamment. Après avoir survolé
quelques forêt que je cru pouvoir nommer et traverser des cours d’eaux
dont les rives mettaient familières je me trouvais soudain au dessus
d’un immense paysage parsemé de rares village fumant droit dans l’air
matinal et au loin un amoncellement de collines. La journée passa comme
un songe. J’étais fasciné par le spectacle imposant qui défilait
plusieurs centaines de pieds sous mon nuage…A la fin du jour
j’atteignis les contreforts d’un massif élevé et boisé. Le
nuage s’effilochait à la cime des arbres et pour la première fois du
voyage je crains quelque incident. Le vent s’était levé et l’allure
forcit. Le soleil dans un gigantesque coup de feu s’effaçât dans la
brume et droit devant le rideau violet d’une nuit claire s’avançait
de toute part. La lune se leva et un paysage
d’ombres chinoises un peu inquiétant s’installa sous mes pieds. Je
somnolais quand soudain une immense clarté laiteuse s’étendit devant
moi. Je devinais une ville. Bien tôt j’atteignis les faubourgs. Je me
penchai pour tenter d’apercevoir les contours des immeubles. Tandis que
je me concentrais ainsi je me senti transporté vers le bas avec douceur
et vélocité et je me retrouvais debout dans une rue noire.
Sans suite, sauf demande expresse, ce qui m’étonnerait….
Ad
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