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Les enfants de QueneauLE MONDE | 20.06.09 | 14h26 • Mis à jour le 20.06.09 | 14h26 Editée par Marcel Bénabou et Paul Fournel Poésie/Gallimard, 910 p., 10,90 €. Un écrivain est soumis à diverses contraintes : règles de grammaire, respect du vocabulaire, nombre de pages... Pourquoi ne s'en imposerait-il pas de nouvelles, en toute liberté ? Georges Perec avait bien composé un roman de 300 pages, La Disparition (Denoël, 1969), sans employer la lettre "e". C'était un membre éminent de l'Oulipo (acronyme d'Ouvroir de littérature potentielle), une association créée en 1960 par l'écrivain Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais. Les joyeux lurons qui la composent se réunissent régulièrement pour expérimenter de nouvelles contraintes littéraires. Leurs travaux ont déjà donné lieu à diverses publications, mais il manquait une anthologie présentant ces oeuvres dans toute leur diversité. C'est chose faite, grâce à Marcel Bénabou et Paul Fournel, actuel président de l'Oulipo. Il faut beaucoup aimer les mots pour jouer aussi joyeusement avec eux. Les oulipiens ont inventé par exemple toutes sortes d'animaux : le sardinosaure, le vautourterelle, la mantilope... mais aussi le cobraspoutine ou l'homarilynmonroe. Ils créent de nouvelles locutions. Ainsi, avec "Ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier" et "Bâtir des châteaux en Espagne", on obtient "Mettre tous ses oeufs en Espagne", ce qui veut dire s'entourer de précautions inefficaces. TERINE AUX TROIS VOYELLES Savez-vous ce qu'est "un poème de métro" ? C'est un poème composé dans le métro, qui compte autant de vers que de stations moins un. Sachant que chaque vers n'est transcrit sur le papier que lorsque la rame s'arrête, et qu'il ne faut pas composer quand la rame est arrêtée... Les oulipiens se fixent parfois des contraintes plus compliquées. De l'alexandrin greffé à la terine aux trois voyelles, en passant par la locurime, on trouve des acrobaties pour tous les goûts. Il serait trop long d'entrer ici dans le détail du poème à lipogrammes vocaliques progressifs. Plus simple est le poème à un seul mot, et même à une seule lettre, sachant qu'il peut y en avoir vingt-six, de A à Z. Les oulipiens se sont découvert des ancêtres. Un grand travail analytique a été entrepris (anoulipisme) pour étudier ces "plagiaires par anticipation". Mais c'est un contemporain qui a composé le Poème pour bègues commençant ainsi : "A Didyme où nous nous baignâmes/Les murmures de l'Ararat/Cessaient de faire ce rare ah !/Leçon sombre où brouiller les âmes." Quant aux variations sur le mot "tram", qui ont nécessité un travail collectif, elles sont infinies : "Après la pluie, le beau tram - Autant en emporte le tram - La nuit, tous les trams sont gris - Et papati et patatram - Ainsi parlait Zarathoustram... Robert Solé
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