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Le
français de la francophonie
Exposé fait par Danis
claude, le 15/2/2002 « Loin
des sommets [du parisianisme] et du lamento [des puristes] sur son déclin, la
langue française fait preuve, hors de l’hexagone, et surtout en Afrique,
d’une créativité où l’humour le dispute à l’ingéniosité »(1).
De même, chez nos voisins belges, suisses ou du Val d’Aoste, et plus loin de
chez nous, au Canada ou aux Etats-Unis, la langue populaire a su créer ou
conserver des mots quelquefois dérivés du vocabulaire du XVIème siècle… Après
avoir rappelé la façon dont se forment les mots et locutions, nous donnerons
quelques exemples de créations classées par pays d’origine (en nous
limitant à l’Afrique Noire et aux Caraïbes) : indispensable à emmener lors
d’un voyage en francophonie ! Notions de lexicologie Exemple de parler haïtienLes unités lexicalesElles « sont
inscrites comme unités dans le code de la mémoire du sujet parlant qui doit
les reproduire telles quelles, en bloc, dans le discours. Il n’a pas la
liberté de changer, à sens égal, l’ordre des éléments dans ces unités,
ni de les séparer par des insertions.»(2) Exemples : maisonnette, pomme
de terre, assistante sociale… Cela prouve que le degré
de cohésion des unités lexicales (même complexes) est très fort… Séries
figées, locutions, proverbes… « Le lexique regroupe des unités qui se
distribuent sur plusieurs niveaux : morphèmes - mots – expressions ou
locutions »(2). Morphèmes et motsMorphème :
la plus petite unité de signification de la langue (exemples : fille,
timide, mais aussi : ‘coiff’ et ‘eur’ dans ‘coiffeur’) Mot :
forme linguistique la plus petite qui ait une autonomie Les morphèmes
lexicaux ou lexèmes permettent aux mots d’avoir une autonomie sémantique
(ex. ‘coiff-’), tandis que les morphèmes
grammaticaux insèrent le mot dans des séries (ex ‘-eur’), ou ont un rôle
de marqueurs morphosyntaxiques (conjugaisons, marques du féminin…). Les
seconds sont souvent, aussi, des affixes dérivationnels
qui se placent devant ou derrière la base pour former un mot nouveau. Base et radicalEn retirant cet affixe, on
obtient la base sur laquelle il est construit (ex. affermissement >
affermi). Lorsque tous les affixes ont été enlevés, il reste une base
minimale qu’on appelle radical (affermissement > affermir > ferme) Syntagme et paradigmeDans une phrase, chaque
(groupe de)mot(s) est en relation syntagmatique avec ceux qui le précède ou
qui le suivent : on parle de syntagme.
A chaque syntagme, on peut
en substituer d’autres, dont l’ensemble forme un paradigme,
« ensemble des unités virtuellement substituables dans un environnement
donné » (2). Formation des unités lexicalesPar dérivationAdjonction d’un préfixe
et/ou d’un suffixe qui peuvent avoir
des fonctions catégorisatrices feuille > feuillage > effeuiller.
Il peut y avoir altération de la base : du
latin carus > cherté/charité. Dérivation
impropre : simple changement de catégorie grammaticale : le boire et le manger, du
bois brut > une brute… Dérivation inverse par raccourcissement d’un mot : coûter > coût, médicine
> médecin, châtaigne > châtain. Par abréviationPull(-over), (chemin de
fer) métro(politain), ciné(ma(tographe)), micro(phone)… Quelquefois avec le
suffixe o, en généralisant la terminaison de vélo(cipède), promo(tion) :
apéro, hosto, prolo… "Mon grand-père s'appelait Maximilien et il jouait du saxophone ; mon père s'appelait Maxim et il jouait du saxo ; moi, c'est Max et je joue du sax ; et mon fils ? Il s'appelerra M. et jourra du s."... Par créationCréations primitives lors
d’une invention : avion, kodak… Onomatopées :
ping-pong, frou-frou > froufrouter (4)… Acronymes, créés
par contamination de deux mots existants : foule et multitude >
foultitude. De même, on aura : bionique, vidéophone… On parle également de
mots-valise (6). Néologie
sémantique : changement de sens passant du concret à l’abstrait
(voler), de la cause à l’effet, du contenant au contenu (nous avons bu une
bonne bouteille) (4). Un tel changement de sens peut aller très loin : de
canard (oiseau), au cri > fausse note > fausse nouvelle > journal de
peu de valeur. (7) Emprunt à d’autres langues, souvent francisés dans leurs dérivations : footballeur… Siglaison : les
sigles connus deviennent des mots et donnent lieu à des dérivés : cégétiste,
énarque, smicard, èrèmiste… Par compositionMots
composés et locutions : pourboire, machine à écrire, au fur et à
mesure… Le français africain« Bien
sur, les gens qui ont fréquenté l’école secondaire ou l’université
dominent le français standard, et ce français d’Afrique est plutôt parlé
par les classes populaires…On ne la trouve sous forme écrite que dans
quelques pièces de théâtre ou articles de presse, avec une fonction comique. »
(4) Transmis essentiellement par l’école, le français n’est pas un moyen
naturel de s’exprimer, mais un savoir qui
ouvre l’accès à la modernité et aux fonctions de responsabilité. C’est
un instrument de sélection et de prestige (8). D’où, l’insertion de mots
ou locutions françaises dans les discours politiques en langues africaines. De
même, les jeunes paysans non lettrés, faisant la cour aux filles : ils
les charment en enrichissant leurs propos du plus grand nombre possible de mots
français sans rapport avec le contexte en langue maternelle (8).
Plus
sérieusement, dans des pays où il n’y a pas de langue véhiculaire commune,
comme dans les villes de Cote d’Ivoire, un français populaire joue ce rôle.
La pression de la norme s’affaiblit, l’invention lexicale est privilégiée
par rapport à l’appareil grammatical. « Le
français est confisqué au colonisateur et à la classe dirigeante qui s’y
est substitué…est un facteur d’unité…Il met le ministre au niveau du manœuvre
et tout Ivoirien le comprend sans même l’apprendre… » (8). On
peut ramener les créations lexicales du parler en français populaire en
Afrique à quatre tendances : Interférences sémantiques avec des langues locales.Il n’y a qu’un mot au
Congo pour jambe et pied et donc une phrase comme un
pagne doit cacher les pieds doit être comprise comme « doit
cacher les jambes ». Dans les langues d’Afrique
de l’ouest, un seul mot signifie gagner, recevoir, obtenir ou posséder. D’où :
elle a gagné petit pour « elle a eu un bébé », gagner
un cadeau pour « en recevoir un » ou gagner
la chance pour « avoir de la chance ». Mots à racines africainesAu Congo, « ku
sibula » (ouvrir) a donné zibulateur
(décapsuleur), où l’on reconnaît les bulles que produit l’instrument et
le bruit (zib) à l’ouverture de la bouteille !. Des mots locaux sont
souvent introduits dans des phrases françaises : potopoto
(boue) ou daba (houe). Au Sénégal,
une dibiterie est un endroit où on
vend de la viande grillée (du manding dibi = viande grillée) et un borom faux-col, un bourgeois, ou un borom cantine, quelqu’un qui possède un petit restaurant (du
wolof borom=propriétaire). Mots créés à partir de racines françaisesDouchière
pour salle de douche, boyerie, salle où
dorment les boys, grèver pour faire
grève, siester (faire la sieste)… Cigaretter
signifie fumer ou offrir une cigarette, et parcoeuriser,
apprendre par cœur. Il s’agit souvent de généralisation des règles de
dérivation vues à l’école. Le déterminant le plus fréquemment entendu
peut être collé au nom : donne moi mes habits > « mezabi »
= la soutane du missionnaire Mots français avec un sens différentSupporter
quelqu’un signifie l’entretenir, torcher,
éclairer avec une torche électrique, calculer
quelqu’un, l’attendre au tournant, caillasse,
argent de poche, ou bastos désigne
une personne âgée à l’allure jeune par son élégance (vient de la devise
« toujours jeune » affichée par la marque de cigarettes). Au Zaïre,
une ambassade est un lieu de
rencontres galantes, et appliquer
l’article 15 signifie « se débrouiller » et correspond à
« interpréter très librement la législation »… Les étudiants
zaïrois arrivant en France sont tout surpris d’apprendre que quitter signifie
autre chose que abandonner ses études. ConclusionJe conclurai succinctement
par un citation de Saussure : « c’est dans la parole que se trouve
le germe de tous les changement… mais toutes les innovations de la parole
n’ont pas le même succès… elles ne rentre dans notre champ d’observation
qu’au moment où la collectivité les a accueillies » (cité dans 3) Toutes ses inventions
langagières montrent que le français, ancienne langue coloniale, a été
vraiment adoptée par une partie de la population : « Le Français
devient lentement une langue africaine urbaine (presque) comme les autres, même
si, en même temps, cette langue prend des formes de plus en plus différentes :
l’appropriation identitaire passe par la différenciation. » (4)
Proposons nous donc d’accueillir, au moins pour un instant, quelques
unes des innovations des autres français
par la langue. Liste des ouvrages utilisés(1) - J.P. Péroncet-Hugoz,
Le français à mots ouverts, Le
Monde, 30/7/1006 (2) - Aïno Niklas-Salminen, 1997 : La lexicologie, A. Colin (3) - Louis Guilbert, La
créativité lexicale, 1975 , Larousse (4) - L.J. Calvet, Les
voix de la ville, 1994, Payot (5) - Loïs Depecker, Les
mots de la francophonie, 1990, Belin (6) - Alain Finkielkraut, Petit fictionnaire illustré, 1981, Seuil (7) - J. Picoche, Précis
de lexicologie française, 1977, Nathan (8) – G. Manessy, Le
français en Afrique Noire, 1994, l’Harmattan Exposé fait par Danis claude, le 15/2/2002 Exemple de parler haïtien"ICI Y’ PLEUT, ET HéLAS MAIS
ATTENTION AUX BACOULOUS QUI
FONT LES FA’ANDOLEU’S ‘IEN
QU’ POU’ éPATER LES JOLIES NANAs TOI
ET’ COMME LAIT ET CIT’ON AVEC EUX ET
PAS AVOI' COUP DE SOLEIL POU' EUX... VAUT
MIEUX PASSER JOU'NéE A
T’BALANCER SU' TA DODINE
[1] Voir la chanson…
En complément : et la médiathèque de la Francophonie
Voir aussi : ledevoir.com/.../le-francais-se-meurt-au-vermont Haut de page
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